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dimanche 24 octobre 2010

Plus de temple, pour l’amour de Dieu…

Plus de temple, pour l’amour de Dieu…
Dimanche 14 novembre 2010
33ème  dimanche du temps ordinaire


Textes :
  • Ml 3,19-20.
  • Ps 98,5-6.7-8.9
  • 2 Th 3,7-12.
  • Lc 21,5-19.


L'expérience des martyrs et des témoins (de la foi) n'est pas une caractéristique propre aux premiers temps (de l'Église), mais elle est la marque de chaque période de son histoire.
Formes de persécution anciennes et nouvelles : haine, exclusion, violence, assassinat.
Rester fidèle (à l'Évangile) coûte toujours.
Ils sont si nombreux ! Leur mémoire ne doit pas être perdue.
Jean Paul II,
Homélie lors de la Commémoration œcuménique des témoins de la foi du XXème siècle,
7 mai 2000 (trad. DC 2227, p.501) passim.

Êtes-vous monté sur le Mont des Oliviers ? Puis l’avez-vous dévalé pour pénétrer sur l’esplanade du Temple, où trônent deux mosquées MONUMENTALES aujourd’hui : El Aqsa, construite dès le VIIe siècle (al-Quds) et qui servit un temps de palais chapelle aux Croisés, et le Dôme du Rocher, érigé par Abd El Malik Ibn Merwan (692), de la dynastie des Omeyyades.
A l’époque de Jésus, on terminait de restaurer les restes du Premier Temple de Salomon, détruit en – 586, et reconstruit en – 515, après le retour de Babylone, sous le nom de second Temple ou Temple d’Hérode: ce dernier serait définitivement rasé par les Romains en 70, avec la destruction de Jérusalem, après une campagne de 4 ans ! 




Jésus sera alors désormais retourné… d’où il venait, et les apôtres auront déjà tous gagné la capitale de l’empire, ou les comptoirs de la Mer Egée !

Dès qu’il arrivait à Jérusalem, Jésus, vraisemblablement selon son habitude, se dirigeait vers le Temple (19 : 45), ce temple tout neuf, fierté et cœur de la vie du Peuple de Yahvé. C’est dans cette enceinte, au comble de la tension et sur un profil de croix, que Jésus va livrer tous les enseignements du chapitre 21ème de Luc.
Voici quelques personnes qui soulignent la beauté du Temple, et Jésus de les prévenir de sa destruction probable. Déjà, il en avait fait l’annonce lors de sa colère contre les vendeurs du Temple. À la question des Juifs : quel signe fais-tu pour agir ainsi, Jésus avait répondu : « Détruisez ce temple, je le rebâtirai en trois jours (Jn 2 : 19) ». A ceux qui l’interpellent maintenant sur l’imminence de l’événement annoncé, Luc fait faire à Jésus un discours qui prend bien soin de dissocier la ruine du Temple  (en 70) de la fin du monde ( ???), et de nier tout rapport entre l’un et l’autre.

Luc a ‘construit’ son rapport. Il commence par rappeler la mise en garde de Jésus contre les imposteurs (car il ne faut pas oublier que nous sommes au moins en l’an 70, et certainement plus à Jérusalem, comme je l’indiquais). Sans doute, comme dans la communauté fondée par Jean, de faux ‘Christ’ se sont infiltrés, ‘antéchrist’ qui opèrent des signes et des prodiges au nom de Jésus ( 1 Jn 2 : 18+). L’aspect pervers de leur message semble avoir été surtout d’instrumentaliser la peur des fidèles, en les prévenant ‘pseudo prophétiquement ‘ que « le temps est tout proche ! »
Luc y fait d’ailleurs lui-même allusion : « Jésus dit encore une parabole, parce que il était près de Jérusalem et qu’on pensait que le Royaume de Dieu allait apparaître à l’instant même » (19 :11).

Le danger était que les chrétiens se laissent prendre aux illusions de ‘pasteurs’ paranos, s’imaginant que le moment de la fin (du monde ?) était proche, que le Royaume de Dieu était sur le point d’apparaître dans sa gloire (déjà ?) et que le Fils de l’homme allait se montrer sur les nuées d’un moment à l’autre (à la mode hellénistique de l’Olympe : comme représenté dans toutes les coupoles baroques, églises et palais !).
On comprend cette fièvre, d’ailleurs, en ces temps de persécutions qui vont éclater sous Néron dès 64, et durer plusieurs siècles jusqu’à Dioclétien ! Après une fièvre passagère, le risque d’une amère déception et d’une sérieuse crise de foi aurait suivi : « N’allez pas derrière eux ! » clame l’évangéliste. Les guerres et les révoltes n’auront pas valeur de signes précurseurs, elles n’ont aucune relation avec LA fin. Luc voit bien, il est convaincu que LA fin ne doit pas venir de si tôt. Quelle que soit l’ampleur des faits, cela n’à aucune relation avec LA fin des temps et LE retour du Christ. 

Seuls des imposteurs… 

Les persécutions mêmes n’auront aucun rapport avec CETTE fin des temps. Elles définissent plutôt la condition du chrétien dans le monde : on le constate chaque fois, là où la foi, la foi chrétienne, les ’formes catholiques’ de vie en commun… ne sont plus pensables au plan de toute une aire géographique, d’un pays, d’une nation ! Il faut apprendre à vivre avec ce qui est autre, différent et souvent à l’opposé de ce que nous avons cru voir durer ! La foi est devenue ‘une ‘ option au milieu de tant d’autres !  Ce qui est davantage à craindre donc, ce n’est non pas la fin du monde – nous savons que nous avons amassé assez de TNT pour faire explorer 100 fois la planète bleue ! Ce qui est davantage à redouter, c’est si et combien de temps tiendra la fidélité des chrétiens à ce et à qui les constituent, en butte de plus en plus aux ‘persécutions culturelles et civilisationnelles’, tant que le monde subsistera, et que la globalisation envahira toutes les sphères de la vie individuelle et sociale. Le souci est d’encourager les pusillanimes, les faibles et les petits, voire ceux qui ne se rendent jamais compte de rien ! Le temps urge de se préparer à devenir à nouveau minoritaires, sans pouvoir ni prétention : voici revenir le temps de la kénose !




La réalité et la définition de ce qu’est la kénose nous vient de la méditation théologique sur le mystère d’ ‘un dieu devenu homme’, non pas à la manière des dieux grecs prenant apparence humaine pour mieux se jouer des hommes, mais d’une façon que nous décrit Paul dans l'Épître aux Philippiens (Ph 2,7).
« Jésus, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu. Mais il s'anéantit lui-même, prenant condition d'esclave, et devenant semblable aux hommes. S'étant comporté comme un homme, il s'humilia plus encore, obéissant jusqu'à la mort, et à la mort sur une croix ! »

Voici donc notre dieu : il s’abaisse et se vide de ses attributs supérieurs, miraculeux, divins… pour rejoindre l’humanité commune, jusqu'à vivre l'obéissance de la foi nue et la mort infamante. Jusqu’à n’avoir plus l’apparence d’un homme, ajoute Isaïe !

Si ce mot ‘théologique’ n'a pas d'usage fréquent, c’est qu’on n’observe pas habituellement, dans le comportement humain, un supérieur qui s'abaisserait devant un inférieur de cette manière : (Jean 13, 4-16) : « il se lève de table, dépose ses vêtements, et prenant un linge, il s'en ceignit. Puis il met de l'eau dans une bassine et il commença à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge dont il était ceint. Il vient donc à Simon Pierre, qui lui dit : "Seigneur, toi, me laver les pieds ?" Jésus lui répondit : "Ce que je fais, tu ne le sais pas à présent; par la suite tu comprendras."
"Comprenez-vous ce que je vous ai fait ? Vous m'appelez Maître et Seigneur, et vous dites bien, car je le suis. Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. Car c'est un exemple que je vous ai donné, pour que vous fassiez, vous aussi, comme moi j'ai fait pour vous. »

Réalité qui fait la différence entre chrétien/non chrétien !

Question : la kénose de Jésus ne concerne-t-elle que sa seule humanité, ou cela révèle-t-il une propriété de sa divinité ?
On prend la mesure de la réponse ! D’ailleurs qui pourra jamais répondre ? Ce qui est sûr, c’est que, même si la kénose ne concernait que l’humanité de Jésus, elle devrait s’imposer d’elle-même à celui qui se réclame de lui et veut marcher à sa suite ! Non pas l’autorité du pouvoir et de l’establishment, mais l’autorité de l’insignifiance mondaine et du service dérisoire. Celui qui ne compte pas aux yeux des hommes…
Qui a jamais lavé les pieds de gens qui vont vous abandonner et vous renier … dans l’heure ? Paul va jusqu’à supposer qu’on puisse oser donner sa vie pour un homme de bien... mais sinon… !

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Paradoxalement cette page d’évangile ne me semble pas avoir été écrite dans le but d’effrayer, mais de donner confiance. Oui, confiance ! Car – et on peut trouver la logique presque cynique ! - malgré l’ampleur des persécutions et dénonciations venues de toutes parts – hier comme aujourd’hui et demain -, tout doit aboutir en témoignage !

Ce que tout homme peut souffrir - et en particulier toutes les souffrances des disciples du Christ et de tout homme christique (Aung San Sun Kyi, qui résiste depuis 20 ans à la junte militaire du Cambodge, ou l'opposant chinois Liu Xiaobo, en prison pour 5 ans, qui vient de recevoir le prix Nobel de la paix 2010) – ce que tout être humain endure en tant qu’homme : TOUT servira de pièce à conviction, un jour, devant Dieu. 


« Nul n’a à se préoccuper de ce qu’il dira et comment il se défendra pour témoigner de sa foi. Je vous inspirerai un langage et une sagesse à laquelle tous vos adversaires ne pourront opposer ni résistance ni contradiction. » 
À cette confiance s’ajoutera la constance, cette vertu de force et de courage. « C’est par votre persévérance que vous obtiendrez la vie ». N’oublions pas : « Qui cherchera à s’assurer sa vie la perdra et qui perdra sa vie la conservera » (17 : 33) La constance, c’est aussi une forme de persévérance que réclament les épreuves de toute vie chrétienne qui est une vie humaine. Paul et Barnabé tiendront ce discours devant les nouveaux convertis d’Antioche ( Ac 11 : 23 et 43). 
Ne lâchez pas ! enseigne Luc à ses ouailles au cœur de la persécution, tenez le coup !

Si le monde est divisé, c’est que chaque homme est divisé, en lui-même et avec les autres : en pensée, en parole, en action  et en omission ! Oui, le monde est divisé, parce qu’il ne peut qu’être divisé et que, mauvais comme n,ous sommes, nous ne savons pas quoi faire pour qu’il le soit ! Que ce soit nation contre nation, royaume contre royaume.  Et on portera la main sur vous et l’on vous persécutera ; on vous livrera, … on vous jettera en prison, on vous fera comparaître…  Vous serez livrés même par vos parents, vos frères, votre famille et vos amis ! Il suffit de lire les chapitres 3 et 4 de la Genèse pour tout comprendre !


L’évangile d’aujourd’hui se conjugue  en fait au présent, pas nécessairement au futur : c’est un présent gnomique - de valeur générale et permanente! Il suffit d’ouvrir le journal quotidien pour constater l’omniprésence de divisions de toutes sortes. On peut dire que Jésus fait ici une description plutôt qu’une prophétie, un constat plutôt qu’une éventualité : un statement !

La question pourrait être : Force-t-il le tableau quand il voit ces hostilités à l’œuvre, même au sein des ‘familles’, privées ou religieusses : confessions, Eglises, mouvements, congrégations à la Maciel ou autre ? Notre univers regorge de dénonciations et de vomissures de toutes sortes : expression et matérialisation de notre ressentiment suicidaire, vengeur et incompréhensible vis-à-vis de ce qui nous fonde dans l’être, nous fait vivre et que certains appellent Dieu.
Tout se passe comme si nous rejetions hors de nous-mêmes, la reléguant sur d’autres épaules, notre incapacité congénitale à assumer ce que nous sommes.

J’avais dit: Vous êtes des dieux, Vous êtes tous des fils du Très-Haut.
Cependant vous mourrez comme des hommes, Vous tomberez comme un prince quelconque.
Psaume 82, 6-7.

Multiples traductions de l’orgueil originaire, déçu de ne pas être comme des dieux (Genèse 3,5). Tout se passe comme si notre drame intérieur invisible prenait forme visible dans le monde objectif. Quoi que Luc place dans la bouche de Jésus  - guerres, catastrophes naturelles, maladies, pénuries, persécutions -, il met en fait en perspective tous les maux qui affectent les hommes. C’est toujours du drame de notre fragilité qu’il s’agit, cette fragilité que nous voudrions effacer de notre être parce qu’elle nous fait peur.

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Jésus n’a pas de diagnostic quant à l’origine de tous ces maux que nous avons à subir. Et n’allons pas mettre ça encore sur le compte d’un dieu qui passerait son temps à infliger châtiment sur châtiment aux (pôvres !) pécheurs que nous sommes !
Ce n’est pas pour autant que Dieu soit absent de ce qui nous arrive ! Non, nous ne sommes pas soumis aux caprices de l’absurde ni de la fatalité : cela a un sens !
Et si cela a un sens, c’est que cela va quelque part.
Notre foi affirme que Dieu s’est impliqué et par son fils (sa famille) et par la croix (la torture) ! Il est plus victime que justicier.
Toutes les catastrophes énumérées par Luc, sont symbolisées ici par la destruction du Temple. C’est que le Temple était la figure, la matérialisation de la présence de Yahvé sur la terre : la shekhina [1]!
Tous les maux, tout le mal que nous subissons, tout le mal et tous les maux que nous provoquons nous-mêmes ne sont que l’expression de nos tentatives insensées et suicidaires pour chasser Dieu, pour chasser l’amour, de notre univers, comme d’autres en leur temps ont détruit le temple de son corps ? Jésus fut historiquement la vraie demeure de Dieu sur la terre, le lieu historique de la présence divine dont le Temple de Jérusalem n’était que la figure annonciatrice (voir Jean 2,22-24).

C’est pourquoi Matthieu et Marc écrivent qu’à l’heure où Jésus meurt, le rideau du Temple se déchire. Et, comme dans notre texte, la terre tremble.
Temple et Christ déchirés, Dieu aura-t-il été, est-il ou va-t-il être jeté hors du monde ?
Non : pas encore au moins !
Au contraire, le voile déchiré du temple et le côté ouvert sur la croix ont révélé aux hommes – comme en une mystérieuse et pérenne apocalypse -, ce qui se cachait et en même temps se signifiait en eux : une destinée capable de dépasser, en l’utilisant, tout ce qui voudrait la détruire.

Alors laissons la nature se manifester avec Matthieu: que la terre tremble, que les rochers se fendent, que les tombeaux s’ouvrent. Et avec notre psaume : que les fleuves battent des mains, que les montagnes chantent leur joie !

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Renversement de situation : La victoire de ce qui tue devient la victoire de ce qui fait vivre.

Le tombeau fermé sur Jésus s’ouvre sur nous.
Un soleil se lève pour brûler nos vices et illuminer nos ténèbres : « soleil de justice apportant la guérison dans son rayonnement. »
Qu’avons-nous besoin de croire ceux qui s’autoproclament « c’est moi » ou prophétisent « il est ici…il est là… »
Le Christ se trouve là où se trouve l’homme - et tout homme. Toute douleur humaine est désormais sa douleur !
C’est pourquoi personne ne peut dire quand cela va finir ! Tant qu’il y aura des hommesFrom here to eternity !



La fin est toujours là et jamais là ! Notre sursis est éternel. Le voile se déchirera un jour pour nous aussi, et nous nous découvrirons là où nous n’avons jamais cessé d’être : dans les bras d’un éternel amour incarné, capable de « nous porter dans ses bras, de peur que notre pied ne heurte le sol », et de nous faire traverser nos abîmes.
Pour ‘comprendre’ ça - parvenir à un terme qui est déjà là, mais échappe encore à nos prises -, il est  absolument requis de laisser tomber tous les appuis sur lesquels nous pensions jusqu’ici pouvoir compter et ne faire confiance qu’à celui qui dit la Parole qui nous crée en permanence.

Il ne doit rester pierre sur pierre de tous les  temples que nous construisons pour nous y réfugier.




[1] Shekhina (ou Chékhina, שכינה) est un mot féminin hébraïque signifiant résidence, utilisé pour désigner la présence à demeure de Dieu, particulièrement dans le Temple de Jérusalem.

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