jeudi 5 mai 2011

Dé- création/Re-création

Dé- création/Re-création
08 Mai 2011
3ème dimanche de Pâques Année A

Lectures
Actes 2, 14,22b-33      
Psaume 15
1 Pierre 1, 17-21
Luc 24, 13-35


Emmaùs : une des plus célèbres pages de l’Evangile !

Au soir du vendredi saint, le rêve des amis de Jésus s'est évanoui.  Il les avait fascinés. C’était à n’en pas douter le Messie de Dieu !
Hélas ! le rideau est tombé, la Pâque s'est achevée, et la réalité quotidienne a repris ses droits. Ils doivent désormais apprendre à vivre avec ce grand vide dans leur cœur : la perte de leur cher ami et maître, leur  guide.
Mais qui sont ces deux  « disciples » ?  Kléophas, le seul nommé par Luc, est-ce le Klopas de Jean, époux d’une des Marie au pied de la croix ?
Et l’autre ? Est-ce un homme, un femme ? C’est peut-être un couple qui s’en va, le cœur  brisé…
Que nous soyons homme ou femme, Emmaùs nous concernés tous : leur désespoir peut être aussi le nôtre, comme leur retour à la joie !

Emmaùs est le lieu d’une effroyable bataille des Grecs contre les Juifs (1 M 3, 40.57 ; 4, 1-27), bataille fut gagnée contre toute espérance par les Juifs. Judas Maccabée s’en était remis à Dieu et au courage de ses hommes :
Maintenant, crions vers le ciel : s'il veut de nous, il se souviendra de son alliance avec nos pères et il écrasera aujourd'hui cette armée que voici devant nous. Alors toutes les nations reconnaîtront qu'il y a quelqu'un qui rachète et sauve Israël ! (1 M 4,10-11).

Le couple de voyageurs revoient les évènements défiler dans leur cœur ! Le drame de Jérusalem, le Golgotha, la croix, la mort…., comment leur maître a fini, cloué sur planche comme un traître ou un esclave. Comment n’être pas désemparés. Pire : désespérés !

Pourquoi ne reconnaissent-ils pas le voyageur qui se joint à eux incognito ? Pourquoi « leurs yeux étaient-ils donc empêchés de le reconnaître » (Lc 24, 16).  Est-il devenu si « différent » d’aspect ? Cet aveuglement est-il d’ordre spirituel, comme on dit ?
Le salut dont Luc – qui n’a pas connu le Christ -, est le témoin dans ses écrits (Evangile et Actes) est certes un salut qui se voit et qui donne la joie. Ici il met en scène la tristesse et le désespoir :pour faire mieux ressortir la joie et l'espérance ?


La page d'Emmaùs commence sous un ciel sombre. Comme le soir de la bataille ! Mais aujourd'hui, Dieu est absent. Ils avaient cru … Tout cela est fini. Dommage !
C’est à ce moment-là que le résuscité entre en scène et en action.
En bon pédagogue, il les et nous surprend, en nous prenant par là où nous ne l'attendons pas. Il se met à commenter la Bible !  Ou plutôt, par elle, il éclaire les derniers événements : mieux encore que le Docteur Ratzinger en deux tomes, il leur et nous donne une leçon d'exégèse inoubliable.D’ailleurs il l’écrit lui-même[1] : Emmaùs est, « en un certain sens, le modèle d'une catéchèse au centre de laquelle se trouve "l'explication des Écritures", que seul le Christ est en mesure de donner [...], en montrant leur accomplissement dans sa personne»[2].
Mais cette parole n’aura pas suffi : "leurs yeux s'ouvrirent, et ils le reconnurent" seulement quand Jésus prit le pain, dit la bénédiction, le rompit et le leur donna. Nous voici renvoyés à l'eucharistie toujours vécue en lien avec la Parole de Dieu.

Le théologien Xavier Thévenot, sdb, a signalé un lien intéressant entre le récit de la première trangression - la manducation du fruit défendu - et celui d'Emmaus[3]. De fait, ces deux pages sont les seules de la Bible qui associent l'ouverture des yeux à la (re)connaissance de quelqu'un (ici, Jésus de Nazareth) ou d'une réalité
- « Leurs yeux à tous deux s'ouvrirent, et ils connurent qu'ils étaient nus » (Gn 3, 7) ;
- « Alors leurs yeux s'ouvrirent, et ils le reconnurent >> (Le 24, 31).


Thévenot comprend le récit de la Genèse comme un repas de « dé-création », qui consomme la rupture entre l'homme et Dieu. En revanche, Emmaùs est un repas de « recréation », où les disciples désespérés ont puisé une force nouvelle, et une joie qui brûle le cœur.

Riche idée qui éclaire à son tour notre démarche eucharistique : la « fraction du pain » suit la proclamation de la Parole :

ainsi AUJOURD HUI - c’est-à-dire CHAQUE JOUR -
nous célébrons à notre tour notre pleine réconciliation avec Dieu,
avec le sacrement de la création nouvelle,
ISSU/E DE PAQUES,
une histoire de mort vaincue par la vie !


Mors et vita duello
conflixere mirando
La mort et la vie se sont affrontées
en un duel prodigieux
dux vitae mortuus,
regnat vivus. ...
le Maître de la vie était mort :
Le voici, vivant, qui règne.







[1] Exhortation apostolique « Verbum Domini, La Parole du Seigneur», suite au Synode des évêques de 2008, consacré à « La Parole de Dieu dans la vie et la mission de l'Église ».
[2] BENOIT XVI, La Parole du Seigneur. Exhortation apostolique, Paris, Bayard - Éd. du Cerf - Fleurus -Marne 2010, § 74.
[3] Xavier THÉVENOT, « Emmaùs, une nouvelle genèse ? Une lecture psychanalytique de Genèse 2-3 et de Luc24, 13-35 », Mélanges de science religieuse n° 37, 1980,p.3-18. Fr. Luc DEVILLERS, o.p.dont je m’inspire ici rappelle que le pape LÉON LE GRAND  y avait déjà pensé, au V° siècle, Homélie pour l'Ascension cité dans la Liturgie des Heures, t. Il, p. 700 ; voir aussi Paris, Éd. du Cerf, coll. « Sources chrétiennes », n° 74, p. 272-273.


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