2 SEPT
22EME DIm
“Ce qui rend impur vient de l'intérieur”
Le rabbin Jésus de Nazareth est
définitivement un Galiléen, et non pas un samaritain ou un judéen. Sa province
avait pour surnom : Carrefour des Nations ! C’était le
« hub » du nord : tout le monde passait par là,
n lieu de
passage obligé, entre le nord et le sud, l’est et l’ouest, pour les caravaniers
et les soldats. Les Galiléens avaient – dit-on -, l’esprit plus ouvert que les
autres : moins chauvins, plus « internationaux » !
Nous voici de retour chez Marc,
pour un bon moment, jusqu’à l’Avent, en fait !
En réponse à une objection des
scribes venus de Jérusalem – des judéens, donc -, Jésus explique sa vision
de la « théologie » morale. Les Galiléens – ayant de fréquents
contacts avec les marchands, les militaires et les étrangers de passage par
chez eux, avaient donc l'esprit moins fermé que les pharisiens et les gens de
Jérusalem en général, élevés au cœur dur du judaïsme. Plusieurs parmi ces gens
du nord parlaient même le grec, ce qui les rapprochera des chrétiens de Rome (la
communauté de Marc et de Pierre), issus pour la plupart du monde païen. Il
n'est donc pas étonnant de voir Jésus et ses disciples adopter une vision
beaucoup plus universelle que les "scribes venus de Jérusalem", et
qui [en grec] « ne mangeaient rien d’acheté au marché à moins qu'il ne
soit lavé », rendu cascher par des rites de purification.
Jésus, qui, depuis le chapitre 7
de Marc, ira maintenant vers les païens (7, 24 - 8, 21), s'oppose à ce que ses
disciples soient soumis à ces rites. Pour lui, l'impureté ne vient pas des
aliments: "Mais ce qui sort de l'homme, voilà ce qui rend l'homme
impur." Et au passage, il attire d'abord l'attention sur quelque tradition
pharisaïque franchement odieuse [versets, omis par le lectionnaire, qui
montrent comment une coutume humaine, le corbane (ce qui veut dire offrande
sacrée), annule le commandement de Dieu].
Et puis curieux ! Nous
lisons à la suite le seul catalogue de péchés mis dans la bouche du
Christ ! En grec !
(Les six premiers sont au pluriel et les six autres, au
singulier : pour en faciliter la mémorisation ?)
Jésus y indique ainsi douze
fautes classées en quatre groupes de trois, qui s'appliquent toutes à l'amour
du prochain:
1.
inconduites, vols, meurtres;
2.
adultères, cupidités, méchancetés;
3.
fraude, débauche, envie;
4.
diffamation, orgueil et démesure.
Ah ! L’amour du prochain, la
charité ! Aucune coutume nationale, aucun code civil, aucun droit
canonique ni aucune tradition héritée des ancêtres ne peut surpasser cette Loi
du Christ que tout être conscient reconnaîtra au fond de son cœur.
Jésus propose une pureté morale
qui dépasse de beaucoup et va bien plus loin que les rituels des fruits et des
légumes !
PS :
mais le « godblogger » curieux sera peut-être intéressé par ce que la
règle monastique occidentale a pu faire de cette « intériorité » de
l’impureté morale.
Dans
son article « Crimes et châtiments » monastiques : aspects du système pénal
cénobitique occidental (Ve et VIe siècles) [http://www.cairn.info/revue-le-moyen-age-2003-2-page-261.htm],
Nira Pancer écrit :
«
Tout ou pratiquement tout est punissable. Ces fautes représentent des
agressions envers la règle et le domaine du sacré qu’elle vient protéger.
Chaque manquement est occasion à punir ; chaque acte est inséré dans un système
« punissable-punissant. Mais les règles ne se contentent pas de punir des agissements
tangibles, elle élargit son champ d’action au domaine de la pensée.
Malgré
les nuances parfois sensibles qui se dégagent d’une regula à l’autre, on
remarque pourtant certaines invariantes doctrinales. Fondamentalement, mais
avec plus ou moins de rigueur ou de sévérité, les règles monastiques partent du
principe de la fragilité des hommes et de leur nature viscéralement pécheresse.
Pendant immédiat de ce principe, la nature humaine est par conséquent
intrinsèquement coupable. Imprégnés de cet a priori, les législateurs
cénobitiques vont développer à outrance le champ de la culpabilité. À partir
d’un modèle clair fondé sur quelques principes directeurs, nous retrouvons à
travers le corpus non seulement une coercition de la conduite mais aussi des contraintes
d’ordre comportemental ou psychologique :
-
les
attitudes incorrectes : l’adoption d’une attitude négative envers les autorités
du monastère est répréhensible. Murmures, manifestations de mécontentement,
réponses à l’abbé ou à ses agents sont considérés comme des fautes ;
-
la
complicité : le moine est susceptible d’être sanctionné s’il ne dénonce pas un
délit dont il a été le témoin. Même s’il n’a pas participé activement ou
directement à l’infraction, son silence l’associe à ce délit. Il est considéré
comme pleinement coupable.
-
les
mauvaises pensées : le frère est en infraction s’il a eu des intentions
contraires à l’esprit des règles.
-
Dans
le domaine de la pensée, le moine sera également en faute s’il est sujet à des
pollutions nocturnes répétées.
-
les
mauvais penchants de la personnalité : certaines caractéristiques de la
personnalité comme la propension à la colère, à l’orgueil, à la propriété ou la
paresse entrent également dans le champ de l’illicite.
Cette
liste atteste que les règles monastiques ne sanctionnent plus uniquement les
infractions reconnues par les autorités ecclésiastiques « les fautes sérieuses
comme le mensonge, le serment, la colère, les injures »,
mais procède à l’intérieur même de l’espace comportemental à un découpage de
plus en plus serré du licite et de l’illicite, jusqu’à établir comme
délictueuses les anomalies les plus infimes. Le code pénal cénobitique
n’intervient plus seulement pour pénaliser la transgression de l’interdit, pour
punir le péché mais afin de maintenir des normes de conduite et des attitudes
imposées.
À
l’instar des disciplines plus tardives […], la règle monastique établit une
«infrapénalité» des comportements et des pensées, palliant ainsi les carences
du système pénitentiel ecclésiastique. Elle met en place non seulement une
micropénalité des menues infractions au temps et à la hiérarchie communautaire
mais, plus insidieuse, elle réprouve et pénalise le domaine de l’invisible,
celui de l’intention. En même temps qu’elles définissent le domaine de la norme,
les règles élaborent une économie du châtiment, sanctionnant ainsi
graduellement le degré et la nature de la faute, de l’écart, de l’irrégularité
ou de l’omission.