mardi 31 août 2010

LE CHOIX PREMIER

5 septembre 2010

Vingt-troisième dimanche du Temps ordinaire Année C

JÉSUS : CHOIX PREMIER

Lectures:
Sagesse 9, 13-18
Psaume 89
Philémon 9.,.17
Luc 14, 25-33

Les prises de conscience tissent le fil rouge de nos dimanches d'été. Maximes et proverbes balisent l’aujourd’hui et le lendemain du chercheur de Dieu. Sirac nous enseignait la vérité sur nous-même, voici maintenant la Sagesse soi-même qui nous invite à découvrir ce que nous ne pourrons jamais connaître par nous-mêmes : les intentions mêmes de Dieu.



L'Esprit seul sait corriger et caler nos feuilles de route dans la perspective de Dieu, dont la sagesse est aussi l’un des noms. Comme lui, magnifiques et sereins, nous avançons sur un chemin balisé qui remet les choses à leur place. Et en ce dimanche, c’est la liberté de l’autre que le projecteur désigne. L’autre – quel qu’il soit -, vers lequel la fascination et l’obsession morbides de la peur et du mal sont capables de nous entraîner pour nous ‘venger’ de ce qui nous ‘arrive’, et pour quoi il nous faut un responsable, voire un coupable ! Il est des esclavages dans lesquels nous entretenons ceux qui nous entourent – sans le savoir ni sans le vouloir - jusqu’à les pousser au suicide moral, mental, social et parfois physique.

La compagne d’un jeune suicidé me confiait ces jours l’emprise maternelle sur son ami qui ne trouva d’issue qu’en sortant de la vie… ‘Fatalitas’ ?

La « juste place d'Onésime n’est plus celle d’un esclave mais bien mieux, c’est celle d’un frère bien-aimé » ! Pourquoi donc Jésus serait-il devenu notre frère humain, sinon pour détourner souverainement la trajectoire fatale du mal rongeur de la tolérance, de la justice et finalement de l’amour ?

Le reproche que l’on fait à Paul et à l'Église de n’avoir pas, en leur temps, condamné explicitement l'esclavage, relève de la bêtise. Cela équivaut à reprocher aux médecins de Louis XIV d’avoir cru aux bienfaits de la saignée, alors que le roi mettra 3 semaines atroces à mourir d’une gangrène à l’os !

Qui sera jamais contemporain du futur : on a déjà tant de peine à l’être de son propre temps !

Toutes les formes d'esclavage sont condamnables, mais diversement et en vertu seule de ce que l’on décrète esclavage ! Cela va des petits ouvriers de Nike des pays émergents à 1$ par jour, aux escort girls et boys de luxe des sordides capitales du sexe, Rome y compris ! Ce dont on nous parle ici, c’est l’esclavage loin de Dieu, loin de la liberté de l’amour et de l’amour de la liberté. Ce que le vocabulaire chrétien a ‘baptisé’ péché.



Jésus,
devenant homme en tout, hormis le péché,
nous en délivre par sa propre mort et son propre retour à la vie :
ainsi
la mort, c’est-à-dire la conséquence du péché,
est désormais vaincue
par l’amour de Dieu, c’est-à-dire la vie sans fin.

L'histoire de toutes les civilisations nous enseigne que l'esclavage et l'aliénation, comme les guerres de domination ou d'extermination, sont la figure la plus lisible du péché du monde : il existe ‘quelque part’ en l’homme, une espèce de structure de péché, un mystérieux ‘cancer du mal’. Laissons philosophes et théologiens en discourir, si cela leur fait du bien : appliquons-nous plutôt avec les anthropologues à chercher en l’homme même les sources de cette sécrétion maligne qu’engendrent, avec une déconcertante et désespérante inévitabilité, ses plus belles réalisations.

Car c'est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage
Que nous puissions donner de notre dignité
Que cet ardent sanglot qui roule d'âge en âge
Et vient mourir au bord de votre éternité!

Baudelaire, Les Phares (dernier quatrain)




La victoire du Christ se réalise dans la foi, où il n'y a ni maître ni esclave ! Quoi qu’on fasse dire à Hegel et à sa théorie du maître et de l’esclave !

Car si l'existence d'autrui est indispensable à l'existence du moi,
[et ce pour une double raison qui veut:
- que le moi n'ait de sens qu'en tant qu'il n'est pas autrui,
- et que la connaissance de soi requière la reconnaissance de soi par l'autre]
c’est que cela ne peut se faire que dans la confrontation entre
* quelqu’un qui est conscience de soi, et ne l'est pleinement que parce que l'autre l'a reconnu ;
* et quelqu’un qui a éprouvé le danger de cette relation et la disparition possible de son existence fragile, et, ce faisant, prend, lui aussi et par là même, conscience de lui-même.
Cela veut ‘simplement’ dire, dans les deux situations, que la conscience de soi passe par autrui.


Dans sa confrontation avec le mal objectif et générique (la souffrance et la mort) et avec le mal subjectif et personnel (les ’tentations’ au désert), Jésus a éprouvé, dans sa chair et dans son esprit, le danger de cette relation et la disparition possible de son existence fragile, en tant qu’homme et que tout homme ; et, ce faisant, il prit, lui aussi et par là même, conscience de lui-même, en tant qu’homme, et que tout homme, promis à autre chose que l’aliénation, en ‘succombant’ à la tentation du mal.



Vainqueur de ce mal possible, il ouvre la voie possible d’une vie délivrée de ce mal. C’est ce que veulent dire les rédacteurs du testament nouveau : l’Évangile nous délivre de la fascination du mal suprême qui est que l'être humain peut faire d'un autre être humain un objet, sa chose avec droit de vie et de mort. C'est exactement là que l'homme prendrait la place de Dieu ! Par la victoire sur et de la croix - châtiment des esclaves -, l’Onésime de Paul est devenu pour son maître - devenu lui-même chrétien -, un frère bien-aimé. Voilà, en acte, la révolution de l'amour que propose Paul - révolution jamais finie, puisque l'humanité a le génie mauvais d’inventer sans cesse de nouveaux esclavages et de nouvelles aliénations. L'Église elle-même y a été et y est encore sujette, et doit, comme toute humanité, rester vigilante pour annoncer à temps et à contretemps - et malgré ses contre témoignages -, cette vraie révolution-là.

Au fond, Jésus dénonce par sa vie, sa mort et sa résurrection, la fascination de la violence par laquelle l'humanité s'autodétruit : une sorte de fascination de l’échec total, une pulsion de mort, une psychose thanatologique ! Chacun veut dominer chacun, l'autre n'est plus un frère, mais un ennemi qui peut, un jour, détruire mon pouvoir ou prendre ma place : violence interne de l'humanité. Il faut éliminer celui qui prétend que le vrai bonheur existe et qu’il en connaît le chemin ! L’amour est une faiblesse pour les ‘forts en gueule et en fric’, qui savent, eux, ‘parler vrai’ et commander aux foules !

La croix demeure un choix délibéré de Dieu, non pour un amour sadique de la souffrance comme telle, mais pour administrer une preuve réelle du cœur de l'homme, capable de tuer l'Innocent quand l'homme prend la place de Dieu. L'Évangile, mémoire vivante de la vie de Jésus, nous révèle tout autant qui est Dieu et qui est l'homme. L'Innocent révèle le coupable, meurtrier capable de tuer l'autre pour protéger son avantage. La croix révèle à l'humanité sa propre violence.

Le renoncement suggéré par l'Évangile n'a donc rien à voir avec un championnat de mortification. L'austérité, voire l'ascèse, peuvent n’être que l’autoglorification de tous les imposteurs de la terre. Le renoncement chrétien refuse toute fascination qui dérive vers l’envie d'avoir toujours plus, vers une folie oublieuse de notre condition, vers une paranoïa meurtrière du plus faible ! Ce renoncement ne peut se faire à la force du poignet : il n'est possible que dans la grâce d'une conversion permanente de l’esprit et du cœur. A force d’autosatisfaction, l'homme religieux lui-même peut en ariver à détourner de Dieu.



Il faut ‘aimer’ (pour) ‘renoncer’!
- Porter sa croix n'est pas un culte sadomasochiste : c'est faire nôtre une victoire ‘à la Christ‘ qui renonce à crucifier les autres, et à faire de l'autre un ennemi à détruire.
- Porter sa croix, c'est tracer une route possible pour l’amour, malgré tout !
- Bref, porter sa croix, c'est rester debout (Stabat !) au pied des croix du monde, et de celles que nous dressons malgré nous, et de ne pas désespérer de soi, ni de l’homme !

Le vrai choix est de traiter avec l'Esprit Saint. Négociation, pas renoncement à sa personnalité ! La grandeur de Dieu n’a jamais exigé l'écrasement de l'homme : l’Eglise aura à répondre, pour sa part, de l'athéisme contemporain. Car l’homme est toujours capable du meilleur quand il commence à renoncer au pire.

L'homme spirituel, selon l’évangile, ne cherche pas à dominer les autres par son savoir, son avoir ou son pouvoir : l'homme renouvelé rend présent le Christ qu’il est devenu lui-même, en se recentrant sur son témoignage. Voilà pourquoi le chrétien préfère Jésus, pour qui il n'y a ni homme, ni femme, ni juif, ni Grec, ni maître, ni esclave (Ga 3, 26-29). Etre son disciple, au jour le jour, c’est devenir frère des frères !

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