SÉLECTIONNÉ PAR LE NOUVELOBS
Par Olivier Cimelière
Ex-journaliste, communicant,
Ex-journaliste, communicant,
Modifié le 19-08-11 à 15:07
L'Eglise catho-geek, en pointe sur le web 2.0
ÉGLISE ET WEB. L’Église catholique a visiblement compris tout l'intérêt qu'offrait l'Internet 2.0. Olivier Cimelière, communicant, nous décortique le récent ancrage numérique de la religion catholique et de ses fidèles.
Sélectionné et édité par Maxime Bellec
Sélectionné et édité par Maxime Bellec
Crise des vocations, désertion des fidèles, messages souvent brouillés et à contretemps de l’époque, l’Église catholique peine à se faire entendre de ses croyants comme de la société civile. Pourtant, un élan de foi numérique souffle de manière surprenante sur la Toile. En l’espace de quelques mois, Vatican, clergé et pratiquants ont investi la blogosphère avec un entrain étonnant. Pour eux, moins qu’une ambition évangélisatrice digitale, il s’agit de s’ouvrir à ce que le Père Federico Lombardi, directeur de presse du Saint-Siège, qualifie de "nouvelle opinion publique, qui aide à la formation de la pensée dans l’Eglise". En route pour un petit bréviaire 2.0 des cathos digitaux !
Le Pape Benoit XVI au square Cibeles à Madrid le 18 août 2011 (CHEMA MOYA/EFE/SIPA)
Le moins qu’on puisse dire est que le pontificat de Benoît XVI n’avait pas démarré sous les meilleures auspices communicantes. Déclarations choquantes sur l’épidémie de SIDA en Afrique, commentaires maladroits sur l’avortement d’une petite fille brésilienne violée par son oncle, levée hâtive de l’excommunication des prêtres intégristes et autres boulettes du même acabit, ont tôt fait d’affubler le successeur de l’emblématique Jean-Paul II, du délicat surnom de "Panzer Pape".
Bulle dogmatique contre bulle médiatique
Autant de postures qui ne militent pas pour cultiver l'image d'une Église ouverte sur le monde et son évolution. Autant d’obstacles pour convaincre des gens pour qui Dieu est une question fondamentale, mais qui refusent l’aspect identitaire et communautaire fermé sur lui-même. Au point même de générer ce que d’aucuns ont appelé la "catholicophobie", dont les scandales pédophiles dans l’Église n’ont pas été les moindres aiguillons.
Dans les médias, les voix d’éditorialistes aussi notoires que Claude Imbert du Point, Ivan Rioufol du Figaro, Philippe Val de France Inter ou encore l’incontournable Eric Zemmour ont toutes tonné avec fièvre sur les catholiques "qui se multiplient comme des rats". En face, la réaction est l’aune des critiques violentes. Devant les attaques, le Pape réplique vertement aux médias en les accusant d’ "ignoble tentative" et de "jacasseries médiocres de l’opinion dominante" qui concourent à ses yeux à une tentative d’abattre l’Église catholique.
Le Pape Benoit XVI dans son avion vers Madrid le 18 août 2011 (GALAZKA/SIPA)
Bref, au bout de cinq ans de règne sur le Vatican, l’image du Pape et de l’Église catholique semblait plutôt destinée à continuer de rôtir dans l’enfer médiatique jusqu’à la désaffection totale. Pourtant en avril 2010, un collectif d’intellectuels français catholiques décide de réagir en publiant dans Le Monde, une tribune sans concession sur la nécessité de sortir du bunker dogmatique dans lequel le clergé se calfeutre. Sous leur plume, on peut notamment lire ce constat inflexible : "Ne pas avoir le courage de demander pardon et ne pas s’engager à faire les modes de gouvernance dans l’Eglise, c’est ouvrir la porte à l’emballement des accusations et des fausses justifications, à l’enchaînement des rancœurs sordides, à la désignation des boucs émissaires."
A la même époque, le philosophe allemand Richard David Precht enfonce encore plus fermement le clou contre ce déni caractérisé de la papauté. Selon lui : "Dans les sociétés démocratiques comme les nôtres, nous tolérons de plus en plus difficilement ces systèmes dictatoriaux, et le décalage ne va faire que s’accentuer. A mon sens, la papauté se trouve dans la même situation que le socialisme d’État sur sa fin : soit elle reste dogmatique et les gens s’enfuient, soit elle essaie de se réformer."
Aide-toi et la Toile t’aidera !
C’est à l’orée de 2010 que les questions et les initiatives vont alors affleurer de plus en plus pour desserrer l’étau communicant dans lequel la hiérarchie vaticane semble s’être auto-verrouillée. Directeur du pôle Recherche du collège des Bernardins à Paris, Antoine Guggenheim décrit fort pertinemment l’enjeu de communication que doit désormais relever l’Église pour ne pas tomber dans une impasse :
"Ce qui touche les chrétiens d’abord et préoccupe des 'cadres' de l’Église, c’est l’usure du tissu paroissial : la couverture du territoire n’est plus assurée (…) D’ailleurs, l’observateur extérieur est davantage frappé par le désengagement culturel de l’Église sur plusieurs décennies et la diminution de son rôle social (…) L’on perçoit à certains signes que ce grand corps historique et universel, témoin de la 'résurrection' qu’est l’Église, invente un nouveau régime de présence. Les circonstances semblent favorables pour une nouvelle rencontre entre la raison et la foi."
De fait, la communication papale va marquer un net infléchissement en avril 2011 pour les célébrations de Pâques. Pour la première fois, Benoît XVI se prête volontiers au jeu de la télévision au cours d’une interview sur la chaîne italienne RAI Uno. Une interview bâtie via les milliers de questions envoyées par des téléspectateurs, et sur des thèmes sensibles et sans aucune complaisance. L’exercice apparaît alors convaincant d’autant que la salle de presse du Vatican s’empresse d’être au diapason de la nouvelle ligne en ouvrant un tout nouveau portail d’information en ligne en mai 2011 baptisé News.va.
Ce portail se veut le point d’entrée fédérateur de toutes les canaux d’information du Vatican, des plus classiques comme l’Osservatore Romano, Radio Vatican aux plus modernes, comme ces espaces informatifs ouverts sur Twitter, Facebook, YouTube, FlickR et cerise sur le gâteau, accessibles sur iPhone et iPad. Rien de moins !
Capture d'écran de la chaîne Youtube de Jean-Paul II
Une conversion numérique qui ne s’arrête pas aux fils d’information à destination des journalistes et de la communauté chrétienne. Le 1er mai 2011, la cérémonie de béatification du pape Jean-Paul II est retransmise en direct sur la célèbre plateforme de partage vidéo YouTube. Plus de 70.000 personnes se connectent pour suivre l’événement. Pas mal pour cette première numérique grandeur nature ! Dans la foulée, 150 blogueurs catholiques sont conviés au Saint-Siège pour les conseils pontificaux en charge de la communication et de la culture pour échanger les points de vue et la nécessité des catholiques d’être présents sur la Toile. Ce qui fait d’ailleurs dire au prêtre néerlandais Roderick Vonhögen que "si le Christ revenait, il serait blogueur. Je veux être un berger pour ceux qui en ont besoin, et non pour ceux qui en ont déjà".
Les missionnaires débarquent sur le Net
Les voies du Seigneur ont en tout cas vite bifurqué sur les autoroutes du numérique. Déjà en juin 2010, l’Église catholique de France avait conçu un ambitieux plan de communication pour tenter d’enrayer la crise des vocations et le nombre en chute libre d’ordinations de prêtres. Cela s’était notamment traduit par la création d’un site Internet baptisé "Et pourquoi pas moi.org" et d’une page Facebook dédiée. Une démarche qu’assume pleinement l’un des responsables de l’opération, le père Olivier Plaincassagne (9) : "Cette démarche n’est pas immédiatement vocationnelle mais elle permet aux jeunes de voir que les prêtres ne sont pas des gens hors du monde."
Capture d'écran de la page Facebook "Et pourquoi pas moi ?"
Depuis, l’usage du digital a fait florès, et nombreux sont les hommes d’Église à manier avec autant de dextérité le goupillon que le clavier. Un des précurseurs dans le domaine est le jeune abbé Pierre-Hervé Grosjean. Il explique ce qui l’a conduit à créer son blog intitulé Padreblog.fr (10) : "C’était au moment des prises de position de Benoît XVI sur le préservatif. Le message était brouillé, les analyses présentées dans les médias pas toutes compréhensibles. Bref, ils ne savaient plus quoi croire". Aujourd’hui, le site accueille en moyenne 20.000 visiteurs et s’est même enrichi de deux nouveaux abbés contributeurs, pour alimenter et mettre à jour les différentes rubriques.
Dans le même registre, le père Izarny, pourtant âgé de 78 ans à l’époque n’a pas hésité un seul instant lorsqu’il s’est agit de lancer Cybercuré il y a plusieurs années. A l’heure actuelle, le site comptabilise plus d’un million de connexions par an et le père s’amuse toujours autant : "Je fais du journalisme religieux. On m’a beaucoup consulté sur le baptême républicain mis en place par la mairie de Paris. Certains se demandent s’ils peuvent se faire débaptiser ou si on peut confesser par téléphone ou Internet."
Capture d'écran du site Cybercuré
Un "Ave", un "Pater" et… Twitter !
Twitter est également devenu un instrument de foi. L’évêque de Soissons est ainsi devenu le premier "twittévêque" de France en se lançant dans le microblogging depuis janvier 2011. En 140 signes, il s’efforce de partager des méditations quotidiennes. Pour lui, "c’est un vrai travail de haïku et je souhaite avant tout être incitatif, non pas impératif". En juin, il avait recueilli 220 suiveurs. Actuellement, il a allègrement franchi la barre des 500. Pas mal comme rythme pour des hommes d’Eglise souvent perçus comme rétrogrades ! Plus étonnant encore est le fil Twitter ouvert par "Le Confesseur". Via le hashtag #jeudiconfession, il invite chacun à venir déposer ses réflexions, ses aveux et ses confessions sur la Toile. Près de 950 pénitents digitaux ont déjà souscrit à ce confessionnal du Web !
Les pratiquants ne sont pas en reste pour également pratiquer leur foi sur la Toile. On ne compte plus les initiatives qui foisonnent çà et là pour insuffler la bonne parole ou même mobiliser pour recueillir des dons nécessaires à la rénovation d’un monastère. D’autres comme le site Révélateur.org ont choisi de construire une Web télé faisant une large part à l’humour pour partager leur message chrétien.
Plus oécuménique encore, le site fort justement appelé OecuMenic.com propose à chaque membre de se créer un profil et de poster des intentions de prière au-delà des différences spirituelles et religieuses. Antoine Bordier, l’un des fondateurs, détaille son approche (13) : "Le réseau social apporte un supplément d’âme (…) Nous voulons redonner du sens à la relation humaine. Cela passe par affirmer ses convictions comme la foi. D’où l’idée de regrouper tous les croyants sur un même réseau en ligne."
Capture d'écran du site OecuMenic.com
Le web 2.0 constitue probablement une opportunité unique de décorseter et libérer la parole religieuse, trop longtemps kidnappée par une certaine hiérarchie cléricale rigoriste et peu au fait des évolutions sociétales. Le fait de constater la floraison abondante de sites, de blogs et de réseaux sociaux en tout genre peut représenter un véritable intérêt, tant pour les croyants qui s’interrogent, que pour les prêtres qui ont du mal à toucher leurs ouailles.
Il reste à voir si le Vatican saura poursuivre sur la lancée numérique qu’il a lui-même amorcé il y a quelques mois, et se débarrasser enfin de cette gangue dogmatique qui rebute plus d’une personne.
Auteur parrainé par Daphnée Leportois
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