In Memoriam
TESTAMENT DE DOM CHRISTIAN DE CHERGÉ
ouvert le dimanche de Pentecôte 1996
Quand un A-DIEU s'envisage...
S'il m'arrivait un jour - et ça pourrait être aujourd'hui -
d'être victime du terrorisme qui semble vouloir englober maintenant
tous les étrangers vivant en Algérie,
j'aimerais que ma communauté, mon Église, ma famille,
se souviennent que ma vie était DONNÉE à Dieu et à ce pays.
Qu'ils acceptent que le Maître Unique de toute vie
ne saurait être étranger à ce départ brutal.
Qu'ils prient pour moi :
comment serais-je trouvé digne d'une telle offrande ?
Qu'ils sachent associer cette mort à tant d'autres aussi violentes
laissées dans l'indifférence de l'anonymat.
d'être victime du terrorisme qui semble vouloir englober maintenant
tous les étrangers vivant en Algérie,
j'aimerais que ma communauté, mon Église, ma famille,
se souviennent que ma vie était DONNÉE à Dieu et à ce pays.
Qu'ils acceptent que le Maître Unique de toute vie
ne saurait être étranger à ce départ brutal.
Qu'ils prient pour moi :
comment serais-je trouvé digne d'une telle offrande ?
Qu'ils sachent associer cette mort à tant d'autres aussi violentes
laissées dans l'indifférence de l'anonymat.
Ma vie n'a pas plus de prix qu'une autre.
Elle n'en a pas moins non plus.
En tout cas, elle n'a pas l'innocence de l'enfance.
J'ai suffisamment vécu pour me savoir complice du mal
qui semble, hélas, prévaloir dans le monde,
et même de celui-là qui me frapperait aveuglément.
J'aimerais, le moment venu, avoir ce laps de lucidité
qui me permettrait de solliciter le pardon de Dieu
et celui de mes frères en humanité,
en même temps que de pardonner de tout coeur à qui m'aurait atteint.
Elle n'en a pas moins non plus.
En tout cas, elle n'a pas l'innocence de l'enfance.
J'ai suffisamment vécu pour me savoir complice du mal
qui semble, hélas, prévaloir dans le monde,
et même de celui-là qui me frapperait aveuglément.
J'aimerais, le moment venu, avoir ce laps de lucidité
qui me permettrait de solliciter le pardon de Dieu
et celui de mes frères en humanité,
en même temps que de pardonner de tout coeur à qui m'aurait atteint.
Je ne saurais souhaiter une telle mort.
Il me paraît important de le professer.
Je ne vois pas, en effet, comment je pourrais me réjouir
que ce peuple que j'aime, soit indistinctement accusé de mon meurtre.
C'est trop cher payé ce qu'on appellera, peut-être, la "grâce du martyre"
que de la devoir à un Algérien, quel qu'il soit,
surtout s'il dit agir en fidélité à ce qu'il croit être l'Islam.
Il me paraît important de le professer.
Je ne vois pas, en effet, comment je pourrais me réjouir
que ce peuple que j'aime, soit indistinctement accusé de mon meurtre.
C'est trop cher payé ce qu'on appellera, peut-être, la "grâce du martyre"
que de la devoir à un Algérien, quel qu'il soit,
surtout s'il dit agir en fidélité à ce qu'il croit être l'Islam.
Je sais le mépris dont on a pu entourer les Algériens pris globalement.
Je sais aussi les caricatures de l'Islam qu'encourage un certain idéalisme.
Je sais aussi les caricatures de l'Islam qu'encourage un certain idéalisme.
Il est trop facile de se donner bonne conscience
en identifiant cette voie religieuse avec les intégrismes de ses extrémistes.
L'Algérie et l'Islam, pour moi, c'est autre chose, c'est un corps et une âme.
Je l'ai assez proclamé, je crois, au vu et au su de ce que j'en ai reçu,
y retrouvant si souvent ce droit fil conducteur de l'Évangile
appris aux genoux de ma mère, ma toute première Église,
précisément en Algérie, et déjà, dans le respect des croyants musulmans.
Ma mort, évidemment, paraîtra donner raison
à ceux qui m'ont rapidement traité de naïf, ou d'idéaliste :
"qu'Il dise maintenant ce qu'Il en pense !".
Mais ceux-là doivent savoir que sera enfin libérée ma plus lancinante curiosité.
Voici que je pourrai, s'il plaît à Dieu,
plonger mon regard dans celui du Père
pour contempler avec lui Ses enfants de l'Islam
tels qu'ils les voient, tout illuminés de la gloire du Christ,
fruit de Sa Passion, investis par le Don de l'Esprit
dont la joie secrète sera toujours d'établir la communion
et de rétablir la ressemblance, en jouant avec les différences.
en identifiant cette voie religieuse avec les intégrismes de ses extrémistes.
L'Algérie et l'Islam, pour moi, c'est autre chose, c'est un corps et une âme.
Je l'ai assez proclamé, je crois, au vu et au su de ce que j'en ai reçu,
y retrouvant si souvent ce droit fil conducteur de l'Évangile
appris aux genoux de ma mère, ma toute première Église,
précisément en Algérie, et déjà, dans le respect des croyants musulmans.
Ma mort, évidemment, paraîtra donner raison
à ceux qui m'ont rapidement traité de naïf, ou d'idéaliste :
"qu'Il dise maintenant ce qu'Il en pense !".
Mais ceux-là doivent savoir que sera enfin libérée ma plus lancinante curiosité.
Voici que je pourrai, s'il plaît à Dieu,
plonger mon regard dans celui du Père
pour contempler avec lui Ses enfants de l'Islam
tels qu'ils les voient, tout illuminés de la gloire du Christ,
fruit de Sa Passion, investis par le Don de l'Esprit
dont la joie secrète sera toujours d'établir la communion
et de rétablir la ressemblance, en jouant avec les différences.
Cette vie perdue, totalement mienne, et totalement leur,
je rends grâce à Dieu qui semble l'avoir voulue tout entière
pour cette JOIE-là, envers et malgré tout.
Dans ce MERCI où tout est dit, désormais, de ma vie,
je vous inclus bien sûr, amis d'hier et d'aujourd'hui,
et vous, ô amis d'ici,
aux côtés de ma mère et de mon père, de mes soeurs et de mes frères et des leurs,
centuple accordé comme il était promis !
je rends grâce à Dieu qui semble l'avoir voulue tout entière
pour cette JOIE-là, envers et malgré tout.
Dans ce MERCI où tout est dit, désormais, de ma vie,
je vous inclus bien sûr, amis d'hier et d'aujourd'hui,
et vous, ô amis d'ici,
aux côtés de ma mère et de mon père, de mes soeurs et de mes frères et des leurs,
centuple accordé comme il était promis !
Et toi aussi, l'ami de la dernière minute, qui n'aura pas su ce que tu faisais.
Oui, pour toi aussi je le veux ce MERCI, et cet "A-DIEU" en-visagé de toi.
Et qu'il nous soit donné de nous retrouver, larrons heureux,
en paradis, s'il plaît à Dieu, notre Père à tous deux.
Oui, pour toi aussi je le veux ce MERCI, et cet "A-DIEU" en-visagé de toi.
Et qu'il nous soit donné de nous retrouver, larrons heureux,
en paradis, s'il plaît à Dieu, notre Père à tous deux.
AMEN !
Insha 'Allah !
Insha 'Allah !
Alger, 1er décembre 1993
Tibhirine, 1er janvier 1994
Christian
Une vie offerte...
Le temps de l'enfance
- 18 Janvier 1937 : Naissance de Christian de Chergé à Colmar.
- Octobre 1942 : La famille de Chergé arrive en Algérie.
- 1945 : Christian écrit sur un billet : "Je serai prêtre".
- 1955 : Christian annonce à ses parents sa décision de devenir prêtre.
Le séminaire / Le service militaire
- 6 Octobre 1956 : Il entre au séminaire des Carmes à Paris (Chambre 29).
- 1959 : Service militaire en Algérie. Christian est lieutenant dans une S.A.S. près de Tiaret.
- 3 Juillet 1960 : Assassinat de son ami Mohamed, garde champêtre pour avoir alerté sa section des dangers qu'elle courait.
Prêtre à Paris
- 21 Mars 1964 : Ordination sacerdotale à St Sulpice.
- Septembre 1964 - Juin 1969 : Christian est chapelain au Sacré-Coeur de Montmartre et directeur de la Maîtrise.
- Septembre 1969 : Il entre au noviciat d'Aiguebelle.
Premières années à N-D de Tibhirine
- 15 Janvier 1971 : Arrivée au monastère N-D de l'Atlas.
- Octobre 1972 - Juin 1974 : Frère Christian part à Rome étudier l'arabe.
- 21 Septembre 1974 : Retour à Tibhirine, prière nocturne avec un musulman.
- 11 Octobre 1976 : Profession solennelle à N-D de l'Atlas.
- 17 Février 1978 : Décès de son père.
- 31 Mars 1984 : Christian est élu prieur de la communauté.
Les dernières années : Conflit en Algérie et terrorisme
- Décembre 1991 : Victoire du front islamique aux élections
- 29 Juin 1992 : Assassinat du président Boudiaf
- Octobre 1993 : Ultimatum du Groupe Islamique Armé lancé aux étrangers.
- 14 Décembre 1993 : Assassinat de 12 travailleurs croates à quelques kilomètes du monastère.
- 1er Décembre 1993 : Début de la rédaction de son testament à Alger.
- 24 Décembre 1993 : Un groupe armé pénètre dans le monastère.
- 1er Janvier 1994 : Fin de la rédaction du testament à N-D de Tibhirine.
- 8 Mai 1994 : Assassinat d'Henri Verges.
- 3 Septembre 1995 : Assassinat de religieuses à Alger.
- 27 Mars 1996 : Enlèvement des 7 moines de Tibhirine.
- 20 Avril 1996 : Un message enregistré est envoyé par les ravisseurs.
- 21 Mai 1996 : Un communiqué du G.I.A. annonce l'exécution des moines
* *
*
Des dieux et des hommes...
Traduction anglaise / English Translation
If it should happen one day—and it could be today—that I become a victim of the terrorism which now seems ready to encompass all the foreigners in Algeria, I would like my community, my Church, my family, to remember that my life was given to God and to this country. To accept that the One Master of all life was not a stranger to this brutal departure. I would like them to pray for me: how worthy would I be found of such an offering?
I would like them to be able to associate this death with so many other equally violent ones allowed to fall into the indifference of anonymity. My life has no more value than any other. Nor any less value. In any case, it has not the innocence of childhood. I have lived long enough to know that I share in the evil which seems, alas, to prevail in the world, and even in that which would strike me blindly. I should like, when the time comes, to have a space of lucidity which would enable me to beg forgiveness of God and of my fellow human beings, and at the same time to forgive with all my heart the one who would strike me down.
I could not desire such a death. It seems to me important to state this. I don’t see, in fact, how I could rejoice if the people I love were indiscriminately accused of my murder. It would be too high a price to pay for what will be called, perhaps, the “grace of martyrdom” to owe this to an Algerian, whoever he may be, especially if he says he is acting in fidelity to what he believes to be Islam.
I would like them to be able to associate this death with so many other equally violent ones allowed to fall into the indifference of anonymity. My life has no more value than any other. Nor any less value. In any case, it has not the innocence of childhood. I have lived long enough to know that I share in the evil which seems, alas, to prevail in the world, and even in that which would strike me blindly. I should like, when the time comes, to have a space of lucidity which would enable me to beg forgiveness of God and of my fellow human beings, and at the same time to forgive with all my heart the one who would strike me down.
I could not desire such a death. It seems to me important to state this. I don’t see, in fact, how I could rejoice if the people I love were indiscriminately accused of my murder. It would be too high a price to pay for what will be called, perhaps, the “grace of martyrdom” to owe this to an Algerian, whoever he may be, especially if he says he is acting in fidelity to what he believes to be Islam.
I know the contempt in which Algerians taken as a whole can be engulfed. I know, too, the caricatures of Islam which encourage a certain idealism. It is too easy to give oneself a good conscience in identifying this religious way with the fundamentalist ideology of its extremists. For me, Algeria and Islam is something different. It is a body and a soul. I have proclaimed it often enough, I think, in view of and in the knowledge of what I have received from it, finding there so often that true strand of the Gospel learned at my mother’s knee, my very first Church, precisely in Algeria, and already respecting believing Muslims.
My death, obviously, will appear to confirm those who hastily judged me naive or idealistic: “Let him tell us now what he thinks of it!” But these must know that my insistent curiosity will then be set free. This is what I shall be able to do, if God wills: Immerse my gaze in that of the Father, to contemplate with Him His children of Islam as He sees them, all shining with the glory of Christ, fruit of His Passion, filled with the Gift of the Spirit whose secret joy will always be to establish communion and to refashion the likeness, playing with the differences.
This life lost, totally mine and totally theirs, I thank God who seems to have wished it entirely for the sake of that JOY in and in spite of everything. In this THANK YOU which is said for everything in my life, from now on, I certainly include you, friends of yesterday and today, and you, O my friends of this place, besides my mother and father, my sisters and brothers and their families, a hundredfold as was promised!
And you too, my last minute friend, who will not know what you are doing, Yes, for you too I say this THANK YOU AND THIS “A-DIEU”-—to commend you to this God in whose face I see yours. And may we find each other, happy “good thieves” in Paradise, if it please God, the Father of us both. . . AMEN!
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