dimanche 3 octobre 2010

LA FOI COMME RECONNAISSANCE

10 octobre 201

28ème  dimanche du Temps ordinaire Année C


LA FOI COMME RECONNAISSANCE

Lectures :
  • 2 R 5, 14-17
  • Ps 97
  • 2Tim 2, 8-13
  • Lc 17, 11-19


Nous continuons avec Luc à monter vers Jérusalem : c’est en route que se passe le dernier cours de pastorale de Jésus au collège des Douze ! La dernière leçon, cette montée vers la ville sainte, où l'affrontement avec l'adversaire est inévitable, crée la tension dramatique qui sous-tend toute annonce de cette nouvelle, qu’on appellera LA Bonne Nouvelle. L'enseignement de Jésus n'est pas irénique : ce rabbin n’est pas un maître de sagesse en son école. Il s’est levé pour une mission quasi impossible et incroyable : sauver, guérir une humanité en péril de perte d’humanité, restaurer un état premier de la création première. Cela constituera l’essence de sa théologie.

La lèpre qui s’impose sur sa route est l'image la plus troublante de notre fragilité, car non seulement elle est destructrice du corps de l'homme, mais elle l'isole, l'éloigne à tout jamais de ses congénères. Sans compter les répercussions collatérales sur la psychologie de ceux qui en sont frappés, et de leurs proches !

De plus, hier (et souvent encore aujourd’hui !), la croyance populaire y attachait une malédiction due à un grand (?) péché du malade, ou de ses pères - ce contre quoi Jésus aura a s’élever plus d’une fois ! Il n'en reste pas moins que la rencontre de lépreux, précisément,  sur la route du cursus pastoral constitue, de façon exemplaire pour les novices, l'épreuve majeure de la peur et de l'horreur.

On imagine les Douze : que va-t-IL encore faire ? Parce qu’ils sont sûrs d’une chose : c’est qu’il va trouver !







L'appel à la pitié, venant de ces hommes perdus, à l'entrée d'un village à eux interdit, retentit encore et toujours dans le long cri de la grande souffrance de toute l’humanité vers celui qui guérit et qui vient sauver. Un récit de guérison est toujours symbolique de notre état précaire. Mais dans ce contexte, il prend une valeur de signe encore plus profilé, focalisé qu’il se trouve, et encore une fois,  sur l’enseignement des disciples.

La liturgie en prépare la réception par le rappel de la guérison de Naaman le Syrien (2 R 5,14-17), dont le récit complet (tout le chapitre 5) est sans doute le plus circonstancié d'une guérison de la lèpre dans l'Ancien Testament, texte lui aussi tellement symbolique du message biblique à l'égard de l'étranger et de son action de grâce pour le Dieu d'Israël.

Chez Luc, à son ordinaire, le récit est très bref (7 versets) et va directement à la leçon de la reconnaissance du don : la guérison. Seul un sur dix revient remercier en louant Dieu : et c'est le Samaritain. Une fois de plus, Luc, toujours habile en dramatisation littéraire, se sert du caractère pour le moins différent, voire hostile, de ce peuple voisin mais hérétique, pour élargir le message, au-delà de toutes les divisions entre les hommes[1]. Ce en quoi, il montre sa fidélité idéologique à son ami Paul, qui écrivait déjà dans ses lettres aux premières communautés dont Luc est issu : « II n'y a plus ni Juif, ni Grec, ni esclave ni homme libre. »

Ainsi la traversée de la Samarie, pour atteindre la Judée depuis la Galilée, maintient la tension dramatique et donne à Jésus l’occasion de détruire de façon démonstrative les préjugés racistes à l'égard de l'étranger. Et ça, n’est-ce pas actuel, encore, à une époque, la nôtre, de confrontation permanente entre les peuples vers l'élaboration indispensable, et bien périlleuse, du fameux « village planétaire » ?

Question : Comment les chrétiens s’y prennent-ils pour faire partie des artisans de cette paix mondiale à étendre[2] ? Jésus, sans développer un traité de dialogue interculturel, se comporte comme un homme ouvert à tout homme quelle que soit son origine. Et il n'est pas question pour lui d'éviter une rencontre parce que l'autre ne serait pas comme lui, même s'il a intérêt à en être bien conscient  et à marquer les étapes dans le rapprochement, comme avec la Syro Phénicienne - qui, elle aussi, en fin de compte, sera louée pour la qualité de sa foi (Mt 15, 21-28).

C’est la façon dont Jésus comprend la confiance qu'on lui fait. Ils sont félicités pour leur foi : Samaritain et Syro Phénicienne, deux étrangers ou ennemis pour le Galiléen de son temps ! Et  cette façon de se comporter va tellement loin dans sa formulation [« Va, ta foi t'a sauvé ! »], qu’elle peut être comprise comme suit :

Jésus dit en fait (et la parole en hébreu « dabar » signifie à la fois « parole et acte »):
  • Si tu es « sauvé », guéri,
  • c’est à toi que tu le dois,
  • je n’y suis que pour autant que tu me crois capable de le faire !
  • Je suis un catalyseur :
  • MOI, Jésus,
  • je déclenche, j’initie, j’adjuve, j’accélère un processus,
  • que TA foi en moi provoque.
Nous nous trouvons dans la situation performative de
  • la forme sacramentelle du mariage
  • où les perpétrants – elle & lui –
  • s’administrent mutuellement la grâce du  sacrement,
  • dont la validité devant Dieu
  • dérive de la foi que les deux époux placent en Lui
  • dans la personne de cet alter Christus qu’est le prêtre !

Elle n'était sans doute pas plus grosse qu'un grain de moutarde quand il quittait Jésus, la foi du samaritain de service, mais son effet avait bien déplacé une montagne : la terrible lèpre était guérie. Et les disciples, spectateurs en stage, en prirent sûrement de la graine !



La foi du samaritain provient bien sûr, elle aussi, de la reconnaissance éperdue d'avoir été guéri. Mais c’est  l'acte même de cette reconnaissance, qui transforma sa simple confiance - accordée à la parole du rabbin itinérant, d'aller voir les prêtres avec ses neuf compagnons pour authentification (être reconnus purs, et réintégrer la communauté) -, en une vraie foi en ce Jésus. Tous les récits de guérison montrent cette évolution de la confiance en foi !

Enfin, il y a toujours de l’émerveillement dans la foi ! « Ah, si tu savais le don de Dieu », dit Jésus à la Samaritaine (encore eux !) (Jn 4,10). Décidément, il le fait exprès !
L'importance du Merci dans notre relation à Dieu s’est « incrustée » dans l'usage par les chrétiens du mot et de l'action, du « dabar ». « Efkaristo, eucharistie », en grec moderne tout naturellement signifie « merci » ! C’est le sens de la messe ! Dire Merci à Dieu pour…

Le sentiment puissant qui monte au cœur de Jésus quand il remercie son Père « d'avoir révélé tout cela aux petits » entraîne le croyant à son  tour à remercier infiniment le Père de nous avoir donné son Fils.

Non, la foi ne peut se passer de la gratitude !

Pour nous, pour tous les hommes - jusqu'au plus petit défiguré et rejeté comme ce Samaritain lépreux -, ce Jésus, Messie juif qui monte à Jérusalem détruire le néant de la mort et la fatalité du mal, ne peut que soulever notre émerveillement et provoquer chez les Samaritains que nous sommes tous, un tel « Merci mon Dieu » qui finit par augmenter encore notre foi en Lui !







[1] Luc est rompu à la pratique d'un grec littéraire et à la culture hellénistique, mais il n'en connaissait pas moins très intimement la religion juive, ses sectes et ses divisions, et les finesses de la loi d'un point de vue rabbinique. La tradition pense qu'il était originaire d'Antioche de Syrie, jusqu'à voir en lui un des tout premiers païens à s'être convertis.
[2] Hans Küng se dévoue depuis 1993 à la fondation « Pour une éthique planétaire » (Weltethos) qui cherche à développer et renforcer la coopération entre les religions au-delà d'une vague reconnaissance des valeurs communes. Il cherche particulièrement à initier de véritables initiatives pratiques en vue de la paix et du développement. On peut consulter son site qui inclut la déclaration pour une éthique planétaire (http://www.weltethos.org/dat_fra/indx_0fr.htm). Cet engagement lui a valu de recevoir le Prix Niwano de la paix en 2005. Pour lui, les différentes religions sont ou devraient être au service de l'homme et ne devraient être que des aspects secondaires d'une éthique humaine, et donc mondiale (la « Weltethik »), plus fondamentale, où - finalement - Dieu est au service de l'homme.




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