Le Choix de croire
dimanche 07 novembre 2010
32ème dimanche du temps ordinaire
32ème dimanche du temps ordinaire
Textes
- 2 Mac 7,1-2.9-14.
- Ps 17,1.3.5-6.8.15.
- 2 Th 2,16-17.3,1-5.
- Lc 20,27-38.
Chacun ses Sadducéens ! Ceux du temps de Jésus, les Saducéens ‘historiques’ - dont font partie les grandes familles pontificales des Grands Prêtres -, ne croient
- ni en la résurrection des morts,
- ni à l'existence des anges,
- et, qui plus est, ils ne reconnaissent dans la Bible l'autorité que des 5 Livres dits "de Moïse" (Genèse, Exode, Lévitique, Nombres, Deutéronome), livres qui constituent la "Loi" ou "La Torah".
C’est eux que choisit le docteur Luc pour interroger Jésus à partir d’extraits de ces livres, et, en l'occurrence, à propos de la Loi sur le ‘Lévirat’[1], dont parle le Deutéronome, 25, 5 - 6, et à partir de laquelle ils bâtissent le cas hypothétique – un cas d’école -, de la femme qui a, selon cette Loi, dû se remarier 7 fois !!!
La question : Comment appliquer cette Loi de Dieu si l'on parle de résurrection des morts ? Vraiment le bâton m…..x à ses deux bouts ! On se demande même comment Jésus s’est prêté à cette joute amphigourique, et n’a pas renvoyé immédiatement dans les cordes ces casuistes fourbes et refoulés ! Il va au contraire tâcher de rester fair play !
- Jésus commence par ‘démolir’ la conception de base que les Sadducéens ont de la ‘résurrection’, et selon laquelle ils imaginent la vie du monde à venir comme une simple prolongation de la vie présente, dans des conditions semblables ou analogues (impliquant qu'on puisse encore avoir à y engendrer des enfants). « NON, dit Jésus, ceux qui sont jugés dignes d'avoir part à la résurrection entrent dans un monde totalement nouveau, où l'on ne se marie plus, où on ne meurt plus, et où l'on vit ‘autrement’, à la façon des anges[2].
- Jésus répond ensuite à ces Sadducéens à partir d'autres extraits de la Torah elle-même, en reprenant la scène de la’théophanie’ (apparition de Dieu) du ‘Buisson ardent’ (Ex 3, 2 - 6), où Dieu, qui se révèle à Moïse et l'envoie en mission, se déclare être le même qui s'était manifesté à Abraham, Isaac et Jacob. Il se présente donc comme le "Dieu des vivants". S'il en est bien ainsi, et qu'il rappelle à Moïse qu'il est le Dieu de ces anciens patriarches, c'est que pour lui ces derniers son bien vivants (donc, saisis dans la résurrection).
En fait, n’oublions jamais que la ‘croyance’ en la résurrection n'apparaît en Israël que 200 ans environ avant Jésus, avec le Livre de Daniel et les livres des Maccabées, tous datant de l'époque des ‘Martyrs d'Israël’, époque de la révolte de Judas Maccabée et de ses frères contre Antiochos IV Epiphane (L’Illustre)[3].
Jésus admet cette croyance, comme le font les Pharisiens, dont beaucoup, parmi eux, sont des Scribes[4]. Ce qui explique le dernier verset de notre page, où des Scribes félicitent Jésus pour avoir bien parlé sur la résurrection. L'astuce de Jésus est de n'avoir pas fait appel au Livre du prophète Daniel pour répondre aux Sadducéens, car ces derniers ne lui reconnaissent aucune autorité. Au verset 35, Jésus va jusqu’à préciser que c'est une ‘grâce’ que d'être admis au monde nouveau de la ‘résurrection’[5].
Paul, lui aussi, comparaissant devant le Sanhédrin (tribunal religieux juif) après son arrestation à Jérusalem, parviendra très rapidement à diviser ses juges en se proclamant Pharisien et en défendant l'espérance de la résurrection des morts[6].
Mais la question doit être sans cesse re posée à nouveau.
Si nous croyons que la mort a le dernier mot, nous devons tous nous considérer comme des gens en sursis, et tout ce que nous pouvons faire se trouve buter contre le mur du sens.
Avoir été créé pour disparaître !
Les Hébreux ont mis longtemps pour parvenir à la ‘croyance’ en la résurrection : notre première lecture date d’à peine 200 ans avant le Christ : c’en est un des rares témoins. Cette croyance est d’ailleurs très ambiguë : certains textes parlent d’une ‘résurrection générale’, d’autres, comme notre évangile d’aujourd’hui, réservent la résurrection à ‘ceux qui seront jugés dignes d’avoir part au monde à venir et à la résurrection d’entre les morts’. Et ce n’est pas parce que l’Église a tranché, que la question soit désormais résolue ! Car elle ne sera jamais simple ni évidente : tout serait plus facile si nous parlions simplement d’immortalité de l’âme - d’ailleurs souvent confondue avec une immortalité de notre psychisme -, ou bien carrément de réincarnation[7], très à la mode !
Pour la foi chrétienne, en revanche, notre matérialité corporelle et psychique est vouée à disparaître dans la mort. Dès lors, on se demande alors légitimement ce que signifient ‘ressusciter’ et ‘ce qui ressuscite’. On s’entend répondre que c’est ‘l’homme tout entier’, celui-là même qui a disparu et qui se trouve appelé à ‘une vie nouvelle’. Disons, si l’on veut : même identité, physique et mentale. Mais la question ne manque pas de rebondir plus loin : ‘Avec quel corps les morts « reviennent »-ils ?’ C’est la question qui se pose à Paul en 1 Co 15,35 : il finit par répondre : toutes les chairs ne sont pas les mêmes, il y a plusieurs manières d’être corps !
Et voilà pourquoi votre fille est muette !
Oui, dans quel corps ‘ressuscit(er)ons’-nous ?
Affirmer la résurrection n’a été ni pour Israël, ni pour les premiers chrétiens - et n’est pour nous-mêmes -, chose facile ! Comprendre ce que cela signifie est encore plus malaisé. Les auteurs des évangiles rapportent le témoignage d’un Jésus ressuscité qui échappe à toutes les prises de nos sens. On le voit, certes, MAIS on ne le reconnaît pas, sinon à des signes comme le partage du pain (à Emmaüs), c’est-à-dire indirectement. Il est corporel, MAIS n’est plus soumis aux lois de l’espace et du temps. Vint le temps où il n’y eut plus rien à voir DU TOUT, sinon ‘un nouveau corps’ qui prendra nom ‘Église’, MAIS alors le mot ‘corps’ n’aura plus le même sens, même s’il signifie d’abord ‘visibilité’ : on dira ‘mystique’.
C’est par notre corps en effet que nous sommes présents au monde et aux autres : il est à la fois fruit et instrument de toute relation. Relation à la nature qui nous fait naître et nous nourrit. Relation avec les autres hommes, car nous ne communiquons avec eux que par nos sens corporels (rien n’est dans l’intelligence qui ne passe d’abord par les sens[8]). La comparaison des ‘ressuscités’ avec des anges, utilisée dans notre évangile, ne dit pas tout puisque les anges sont censés ne pas avoir de corps. Paul dit du ‘corps de la résurrection’ qu’il est ‘corps spirituel’ (1 Co 15,44). Expression vraiment paradoxale, s’il en est !
Disons que
- si notre corps actuel est instrument de toute relation, il est aussi ce qui nous sépare, nous individualise, crée une frontière entre chacun de nous et les autres.
- Le corps spirituel, lui, est le lieu d’une relation sans frontière.
Ø Intéressant, mais pas convaincant à 100% !
Croire est un choix.
Dans l’hypothèse où ‘un corps de résurrection’ permet une relation sans frontière ni réserve, on peut admettre alors que la relation conjugale ne soit plus nécessaire ni ne puisse perdurer, hors le domaine spatio temporel des sens.
Dans notre évangile, Jésus relie cette relation à la mort : dans la perspective hébraïque, en effet, conjugalité et procréation sont étroitement liées, et l’enfant est vu comme le lieu de perpétuation du couple : la fécondité comme pérennité de descendance.
Fort bien ! Mais rien de tout cela ne nous dit avec précision comment se présente ‘l’univers de la résurrection ‘! Les images que nous propose l’Écriture, en particulier celle du banquet, ne signifient ‘que’ joie et exultation : en commun, il est vrai ! MAIS quand on nous parle de ‘cieux nouveaux et de terre nouvelle’, nous pouvons conclure que, n’ayant aucune expérience de cette nouveauté, nous ne pouvons en dire grand-chose. Tout au plus pouvons-nous penser à un univers où les grands conflits qui nous détruisent auront disparu : conflit de l’homme avec la nature, du masculin et du féminin, de l’homme avec son semblable.
La résurrection comme absence des forces de mort ? Mort, où est victoire ? Mort, où est ton aiguillon ? (1 Co 15)
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Notre imagination peut et doit travailler … à l’indéfini ! Elle en a besoin pour se justifier en creusant le mystère !
MAIS si, pour croire en la résurrection, nous attendons preuves et certitudes (evidences, dit l’anglais), nous pouvons toujours… attendre[9], justement.
Nous sommes ‘invités’ à choisir de croire.
Il y faut une décision.
Qui sans doute ne se peut prendre sans une ‘certaine’ intimité avec un Christ vivant.
[2] Dont la seule chose que Jésus nous en ait dite, c'est qu'ils vivent sans cesse en présence de Dieu : Mt.18, 10
[3] C'est un personnage ambigu, bon chef de guerre qui s'empare de l'Égypte et de Chypre en -168 mais qui doit y renoncer sous la pression de l'ambassadeur romain Gaius Popilius Laenas. C'est surtout sa tentative d'hellénisation forcée, en particulier en Judée, qui entraîne son deuxième surnom d'Épimane (l'Insensé). Il exaspère ses sujets par son intolérance. En -168 il pille et installe un autel du dieu Baal Shamen dans le temple de Jérusalem, détruit les murailles de la ville et, dans un édit de décembre -167, ordonne d'offrir des porcs en holocauste, interdit la circoncision et pourchasse les adversaires de l'hellénisation. Après son départ éclate une révolte des Juifs dirigée par la famille des Maccabées. Les troupes envoyées par Antiochos IV sont successivement battues. Judas Maccabée s'empare de Jérusalem, procède à la purification du temple et rend le sanctuaire et l'autel au culte de Yahvé. Pour certains auteurs chrétiens, il symbolise la figure de l'Antéchrist[.]
[4] Deux autres mouvements religieux du judaïsme : Saul-Paul était d’obédience pharisienne.
[5] Voir également Luc, 21, 36 et 14, 14 à ce propos
[6] Texte très intéressant à relire en Actes, 23, 6 - 10. L'enseignement de Jésus en notre passage est en continuité avec la position des Pharisiens sur la résurrection.
[7] La croyance en la réincarnation peut être assimilée à une doctrine selon laquelle un certain principe immatériel (« esprit », « âme », « conscience individuelle ») s'accomplit au travers de vies successives dans différents corps (humains, animaux ou végétaux selon les croyances). Dans cette doctrine, à la mort du corps physique, l'« esprit » quitte ce dernier pour habiter, après une nouvelle naissance, un autre corps, ce qui permettrait à l'individualité de poursuivre ses expériences de vie et son évolution spirituelle ou morale. La réincarnation est une forme de la transmigration des âmes.
[8] Nihil est in intellectu quod prius no fuerit in sensu (Thomas d’Aquin)
[9] Attendre se dit en espagnol : ‘esperar’ !
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