Le paradigme Jésus
13 Mars 2011
1er dimanche Carême Année A
Textes
- Mt 4,1-11
Comment mener son existence pour la réussir ? Comment découvrir le sens de sa vie ?
C’est la question sempiternelle de chacun surtout quand, jeune, on a l’opportunité de se la poser, et, moins jeune, on a le sentiment de ne plus avoir tellement de temps pour y répondre !
C’est peut-être cela en quoi consiste le fondement de toutes les civilisations : le résultat de toutes les réponses apportées par les hommes à cette question !
Borné dans sa nature, infini dans ses voeux
L’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux !
Imparfait ou déchu, l’homme est le grand mystère,
Dans la prison des sens enchaîné sur la terre
Esclave il sent un cœur né pour la liberté,
Malheureux il aspire à la félicité ![1]
Les illusions ! Oui, aveuglé par ses illusions, il se prend souvent pour qui il n’est pas : un surhomme, un ange ou même un dieu. L’ange et/ou la bête, selon Pascal. Enlisé dans ses échecs, englué dans ses faiblesses, il peut finir par désespérer de lui-même : c’est la drame de tous les Judas, à qui il manque l’esprit d’enfance de Pierre : l’orgueil du premier le menant au suicide, l’infantilisme du second l’amenant à pleurer et à demander pardon (77 fois 7 fois) !
Et l’autosuffisance ! Illusion et autosuffisance ! Gérer son existence, organiser le monde et construire son bonheur selon ses propres plans, et seulement suivant ces plans ! Son dessein !
Il a montre qu’il s’y connaît en paradis terrestre, ne serait-ce que pour réussir (souvent ?) à bâtir diverses variantes d’enfers...
Tout alors, Dieu en dernière analyse, peut lui apparaît comme un rival dont il se détourne. On peut comprendre que chacun veuille mener seul sa barque, et surtout décider seul du bien et du mal : cette affaire de conscience. Et c’est bien en définitive là-dessus qu’il aura des comptes à rendre, si tant est qu’il y en aura !
L’homme est cet animal « raisonnable » qui veut ne rien devoir qu’à lui-même, qui veut se construire seul, sans Dieu ni maître. Les alliances ne valant que pour ceux qui y croient, il s’en passe, même quand elles « sentent » l’amour ! C’est ce dont il se défie le plus, bien qu’il sente ne se souhaiter que cela !
En fait, il veut être son propre dieu : son ambition est de tout posséder et de tout dominer. Voilà le péché ? C’est bien pourtant ce qu’ « ON » lui avait promis, non ? (Gn 1,28)
- Et Dieu leur dit (à Adam & à Eve) :
- " Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre
- et soumettez-la, et dominez sur la mer, le ciel et la terre. "
C’est l’usurpation de ce qu’il n’est pas – Dieu - qui montre sa bêtise, sa paranoïa, son irresponsabilité !!!
Mais Rien n’est jamais perdu pour Dieu : c’est pour cela qu’il est Dieu, justement ! La réconciliation, c’est son truc. Parce que sans elle, tout ce qu’il a créé eût été vain !
Et l’homme ne pouvait que vouloir être LUI, sinon pourquoi l’a-t-il fait à son image ? Oui, mais voilà ! Il l’a fait en deux morceaux complémentaires, deux moitiés à la fois égales et distinctes, comme les membres de la famille trine où chacun est égal aux deux autres et distinct d’eux !
C‘est, ici, ce qui arrive à Jésus est paradigmatique : il affronte avec nous, en tant qu’homme, les tentations humaines, toutes les tentations aux masques séduisants. Il rend à l’homme sa véritable liberté, et lui permet de retrouver le visage de Dieu et le visage des hommes.
Le carême est là dedans : se repositionner par rapport à Dieu et par rapport aux autres hommes.
La question demeure. Comment apaiser ma/ta/sa soif légitime de bonheur ?
Ah, l’enivrante possession des nourritures terrestres, susurre la voix claire obscure d’André Gide !
Et la tendresse, b…. l ! Et la chaleur, la sollicitude et l’amour, murmure une source venue du plus loin des profondeurs !
Celui qui instrumentalise Dieu, essaie de s’en servir (plus ou moins) « discrètement » pour défendre en fait ses propres idées et promouvoir ses propres projets, acquérir du pouvoir et briller devant les hommes !
Les rêves peuvent se révéler très infidèles ! Ils peuvent instiller que Dieu est un frein à mon épanouissement et à mes conquêtes : effectivement s’il n’y a pas d’autre dieu que moi, et que le monde est mon royaume. Que ma volonté soit faite donc, et non la sienne !
Mais cette loi dis-tu révolte ta justice,
Elle n’est à tes yeux qu’un vulgaire caprice
Qu’un piège où la raison trébuche à chaque pas :
Confessons-la Byron et ne la jugeons pas
Que celui qui l’a fait t’explique l’univers.
Ici bas a douleur à la douleur s’enchaîne
Le jour succède au jour et la peine à la peine !
Ce qui ne laisse pas d’être vrai ! Ce serait mensonge que de le taire !
La grandeur de l’homme, découvre-t-il alors, c’est à la fois de ne pas se soumettre à la fatalité, mais de se coltiner avec elle, par pensée, par parole et par action
Et de s’abandonner EN MÊME TEMPS AVEC CONFIANCE à son créateur, en toute liberté et assentiment de tout son être !
La tentation, la parole pervertie, mensongère, la déconstruction de l’humain, la menace du non-sens et de la mort : rien que de très « normal », dans la mesure où la loi de la paranoïa l’emporte
[Je sui en train de rédiger ce texte, le 1er mars, et j’entends Kadhafi prétendre devant la presse internationale que son, peuple l’aime au point d’être prête à mourir pour lui, alors qu’il vient de faire bombarder Benghazi !]
Quand Jésus est conduit eu désert - immédiatement après sa désignation par le ciel devant son cousin « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; en lui, j’ai mis tout mon amour »-, c’est pour administrer la démonstration de Dieu, qui se soumet à la condition humaine. Mais comment un homme véritable peut-il entendre une telle parole ? Comment un être humain peut-il consciemment recevoir la Parole divine lorsque celle-ci lui déclare un tel amour ?
Jésus ne répond rien à la déclaration divine à son égard! Personne ne dispose de parole humaine capable d’y correspondre adéquatement. Il reste sans parole et va dans le vide du désert pour répondre par le silence de son adoration : silence abyssal au lieu de la solitude, du dépouillement, de la précarité. Peut-être ( ?) afin qu’une parole véritablement humaine puisse naître après que la révélation divine ait plongé cet homme dans un éblouissement de reconnaissance.
Mais cet abîme, sera-t-il celui de la vie ou de la mort, de la vérité ou du mensonge, de la liberté ou de l’esclavage ? Car une faille s’ouvre ainsi sur l’infinie profondeur de l’écho venu d’ailleurs, et fait naître l’angoissante question d’une existence possible :
Si je suis (le) F/fils de Dieu,
- qui m’empêche de changer ces pierres en pain et d’assurer ma sécurité matérielle ?
- qui m’empêche de braver une mort qui n’aura sur moi aucun pouvoir ?
- qui m’empêche de saisir la toute puissance du monde qui s’offre à mon regard ?
Entre contradiction et fantasmes, se joue encore aujourd’hui la vocation divine de l’homme : si je suis aimé, infiniment aimé, pourquoi la faim, la faiblesse et la mort ?
- Il fallait que ces questions surgissent pour que Jésus puisse parler à son tour.
- Il fallait que ces fantasmes le submergent pour que sa liberté d’homme soit pleinement engagée dans le combat de la foi.
- Il fallait que son esprit connaisse le vertige d’une jouissance illimitée pour devenir filialement responsable de sa confiance en l’amour du Père.
Mais comment Jésus - et l’homme à sa suite -, retrouve-t-il le chemin de la liberté d’un fils/d’une fille, sinon en se fondant lui-même sur la Parole du/d’un Père. Il faut par trois fois traverser l’épreuve fondé sur ce roc de la vérité qu’est la fidélité à : « toute parole qui sort de la bouche de Dieu. » (Dt 8,3).
Un/une Fils/Fille d’homme répond à et par la Parole révélée
Au milieu de « rien », Jésus a ainsi assumé son humanité à travers une parole libre, véridique et donnée :
- libre face à Dieu parce qu’il a refusé l’idolâtrie,
- véridique au regard de lui-même car il assumé la précarité de sa condition humaine,
- donnée car il a renoncé à toute forme de relation aux autres fondée sur le pouvoir.
Avec ce Jésus-là peut à présent être annoncée UNE parole qui libère et humanise. D’autant plus que Jésus devient lui-même cette Parole (ce Verbe, ce Logos) d’u Dieu qui se révèle Père, une parole affinée et polie à l’épreuve du « désert », dans la pleine liberté d’un homme devenu adulte.
Le Carême EST ce temps de conversion à une parole sans laquelle il n’y pas d’humanité possible.
- Ma parole est-elle fondée sur ce que je suis vraiment ?
- Ma parole est-elle librement fondée sur la confiance ?
- Ma parole est-elle fondée sur la charité ?
Une parole humaine à l’image de Jésus, Parole éternelle du Père.
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